Page Précédente

Syrie: l'assaut de l'EI contre une prison marque-t-il un tournant?


Lundi 24 janvier 2022 à 13h53

Beyrouth, 24 jan 2022 (AFP) — L'assaut du groupe Etat islamique (EI) contre une prison en Syrie la semaine dernière est la plus importante opération menée par l'organisation dans ce pays depuis sa défaite territoriale et fait craindre une résurgence du groupe.

Plus d'une centaine de combattants de l'EI ont attaqué jeudi soir la prison de Ghwayran à Hassaké, dans le nord-est, et libéré des jihadistes. Les combats ont depuis fait plus de 150 morts dans et autour de la prison où sont retenus des centaines de mineurs.

- Quelle est l'ampleur de l'attaque? -

Dans un communiqué diffusé par "son agence de presse" Amaq le groupe EI a dit avoir mené une opération "de grande ampleur et coordonnée" qui a débuté jeudi soir avec l'explosion de deux camions piégés aux portes d'une prison qui abrite d'autres jihadistes.

Les jihadistes ont simultanément attaqué plusieurs positions autour de la prison, selon le communiqué, tandis qu'à l'intérieur des détenus ont saisi des armes stockées dans une salle et ont pris des otages.

Selon l'EI, des centaines de prisonniers ont été libérés au cours de l'opération mais leur nombre exact reste indéterminé.

Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), basé au Royaume-uni, plus de cent jihadistes ont pris part à l'assaut qui a provoqué des combats ininterrompus à l'intérieur de la prison et dans ses alentours.

Plus de 150 personnes, majoritairement des jihadistes mais aussi des dizaines de combattants kurdes, ont été tuées depuis jeudi, selon l'observatoire qui dispose d'un vaste réseau de sources en Syrie.

Dimanche, les Forces démocratiques syriennes (FDS) dirigées par les Kurdes, soutenues par les forces de la coalition menée par les États-Unis, tentaient encore de reprendre le contrôle de Ghwayran et des quartiers environnants.

"Il s'agit de l'opération la plus sophistiquée qu'ils aient menée en Syrie depuis la chute de leur 'califat' à Baghouz" il y a trois ans, a déclaré Aymenn Jawad al-Tamimi, expert de l'EI.

- Quel objectif? -

"La capacité de l'EI à mener des opérations plus sophistiquées et à grande échelle pourrait être renforcée" en fonction du nombre plus ou moins important de jihadistes qui parviendront à franchir les lignes de sécurité des Kurdes, a-t-il ajouté.

Mais il précise que malgré son ampleur cette opération n'a rien de comparable avec les capacités de l'EI en 2014 où le groupe avait réussi à s'emparer de vastes pans de territoires en Syrie et en Irak.

"On est encore très loin d'un scénario où l'EI serait en mesure de s'emparer de grandes étendues de territoire", selon l'expert.

L'attaque de la prison de Ghwayran marque cependant un pas dans cette direction, selon Nicholas Heras de l'Institut Newlines.

"L'EI se doit de faire sortir son armée de prison", a déclaré M. Heras.

"On peut s'attendre à davantage d'opérations de ce type à l'avenir, en partie parce que les FDS manquent de moyens pour défendre les prisons où les combattants de l'EI sont incarcérés".

L'année dernière, l'ONU estimait à environ 10.000 le nombre de combattants de l'EI restés actifs en Irak et en Syrie, dont beaucoup dans les zones contrôlées par les Kurdes.

Parallèlement, 12.000 suspects de l'EI de plus de 50 nationalités sont actuellement détenus dans plusieurs prisons kurdes du nord-est syrien.

Leurs femmes et enfants se retrouvent dans des camps de déplacés surpeuplés qui se transforment en foyers d'extrémisme et de radicalisation.

- A quoi s'attendre après l'attaque? -

Selon Pieter Van Ostaeyen, historien et spécialiste de la Syrie, les jihadistes qui ont survécu "vont probablement à nouveau disparaître dans le désert" près de la frontière avec l'Irak.

"Je ne vois aucune menace immédiate de reconquête territoriale", a-t-il déclaré à l'AFP.

La coalition dirigée par les États-Unis qui lutte contre l'EI estime que l'attaque de Ghwayran affaiblira l'organisation en raison du nombre élevé de victimes jihadistes qui en résulte.

"Si l'EI reste une menace, il n'a clairement plus sa force d'autrefois", a-t-elle commenté dans un communiqué dimanche.

Charlie Winter, chercheur et expert de l'EI, estime pour sa part que si l'attaque de la prison de Ghwayran n'a peut-être pas d'impact immédiat sur le terrain, "la symbolique globale est absolument énorme".

"Cela fait des années que je n'ai pas vu les partisans de l'EI aussi exaltés", a déclaré à l'AFP l'expert qui surveille les réseaux sociaux du groupe jihadiste.

"Cette façon d'animer les sympathisants a revitalisé une grande partie de la communauté", en particulier en Syrie, a ajouté l'expert.

La plupart des jihadistes ne sortiront pas de la province de Hassaké en raison des mesures de sécurité, a-t-il ajouté.

"Mais la symbolique et l'élan que cette attaque donnera à l'insurrection de l'EI en général pourraient avoir des conséquences concrètes", a déclaré M. Winter.

"C'est une démonstration de ses capacités, de sa résistance".

ho/jos/elw/sw

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.